Notes Biographiques
Risquons un œil dans l'atelier. Huitième étage, ciel, toits,
terrasses plantées d'arbres déraisonnables, angles inattendus sur un
coin de Paris que ne hantent pas les artistes. Il ne s'agit pas de
surprendre des secrets ni de voir l'envers de l'échafaudage. Le
dessin, la technique de Vidalens sont étonnants de simplicité et de
rigueur : de quoi décourager les "comment ?". J'espère seulement,
là-haut, comprendre quelle réaction chimique, ou phénomène optique,
subit la lumière ordinaire pour devenir, dans les toiles de Vidalens,
un élément presque palpable de leur séduction. La lumière est
captée, avalée, digérée par la peinture, elle s'y intègre, elle en
irradie. Commencement de réponse : sur un plateau
d'un petit mètre de côté sont rangés les principaux accessoires
qui, disposés selon une volonté précise, deviennent -
interchangeables, reconnaissables — les composantes de presque
toutes les toiles. Mais ces objets, là où ils sont, paraissent en
pénitence, privés de lumière : ils y baignent mais ne la conquièrent
pas. C'est sur la toile, ec là seulement, qu'ils restitueront cette
luminosité que l'artiste
leur aura incorporée, comparable à celle, parfois, de la haute
montagne, dans cet instant où le paysage émerge du nuage derrière
lequel triomphe déjà le soleil : sans
lui, pas de miracle, mais
sans le peintre non plus. Ô Vidalens, "toi sans qui les choses ne
seraient que ce qu'elles sont !". (Et puisque ce mot surgit, penser,
pour lui donner du
prestige, à évoquer Francis Ponge : "Le parti pris des choses" -
mais bien sûr d'autres y ont pensé avant moi). Les choses, en tout
cas, pour l'instant, sont réduites à leur définition usuelle et à
leur humble usage. Voici leur énurnération : pots de grès, assiettes, soucoupes. Verres, carafes,
bouteilles. Livres, cahiers, rouleaux de papier, crayons.
Bilboquets (sans ficelle), pelotes de ficelle, bobines de fil.
Violons, machines à coudre et vélos (devenus rares). Petits
mannequins articulés comme en utilisaient les peintres d'autrefois
pour tenir Heu de modèles. Pommes, billes, boules, fruits divers.
Œufs. Nappes, serviettes, torchons, en plis ou chiffonnés. Quilles.
Ah, j'oubliais : escargots,
coquillages, compas, pyramides, toupies, artichauts, formes pour
chapeliers. (Je soupçonne le peintre de se réciter à mi-voix, en
peignant, cette litanie, ce poème.) Ne sont évidemment pas évoqués
ici quelques palais,
rotondes, entrepôts, usines à gaz, cuves géantes, dont il est arrivé
que Vidalens se servît (mais peut-être la référence à Giorgio De
Chirico était-elle trop évidente ?).
Trompe-l'ceil ? L'extrême méticulosité du
trait, la justesse absolue
des ombres portées, le refus des facilités du contour, celui-ci
étant réduit à une caressante rencontre de valeurs : tout était en
place pour qu'ici pointât son nez, confuse commodité, la référence
au trompe-l'œil. C'était oublier que le peintre de trompe-l'œil ne
fait pas concurrence à la photographie, mais aux autres peintres de
trompe-l'œil : recherche de la prouesse de plus en plus
étourdissante. Or, s'il utilise bien des procédés d'illusion,
Vidalens ne cherche pas à donner l'illusion de
la réalité, mais d'un état
intermédiaire entre songe et réalité, vie réelle et vie rêvée. Il
dispose même d'un procédé
qui crée l'illusion de
l'irréalité : dans une composition rigoureusement soumise aux lois
de la perspective (même si
celle-ci est modifiée, aplatie, presque neutralisée, parfois, par le
choix d'un point de vue en plongée), le peintre laisse
volontairement, ici ou là, flotter, comme en lévitation, un objet
(boule, livre, assiette) dont on cherche en vain l'assise,
c'est-à-dire l'ombre, là où elle devrait se trouver. Où est passé le
principe de réalité ? Vidalens est un peintre en trouble-l'œil. Il
ne trompe personne, il glisse en nous un doute. Un ovni plane
au-dessus de l'immobilité de la "vie tranquille" - ce qui est mieux
dire que "nature morte" pour évoquer ces peintures où justement
tremble l'inquiétude de la vraie vie.
Mots qui viennent naturellement à la plume, à la mienne en tout cas,
quand on s'efforce de cerner l'art
de Vidalens : hyperréalisme,
onirisme, camaïeu. On peut imaginer une recherche vertigineuse de la
réalité passée à la lessive du camaïeu ; une réalité qui
aurait déteint, se serait embrumée, "enrêvée", gommée. Mais
on a dit qu'elle contenait de la lumière, cette grisaille... Alors ?
Les grisailles et brunailles du passé restaient éteintes.
Au contraire, cette déclinaison
de pâleurs que nous propose Vidalens, cette façon
d'opposer-et-marier, de proche en proche, des couleurs
cousines, ces passages insensibles de nuances, cette façon, aussi,
d'étouffer l'explosion quand le
peintre met en contact deux gris, deux beiges, deux jaunes, deux
blancs si proches qu'une déflagration
pourrait s'ensuivre, tout cela
éclate, mais de silence lumineux. Paix assurée. L'art de Vidalens
consiste à différencier
les semblables en les rapprochant. Nous voilà au cœur de son système
(de son secret ?) et bien embarrassés pour le mettre en mots.
L'art de Vidalens ne l'isole jamais ; il crée au contraire les
conditions d'une intimité. S'il y a une tour
(couleur) d'ivoire, on s'y
enferme pour des confidences — en écouter, en faire. C'est une
évidence que m'a suggérée l'atelier. Un atelier est souvent
un fourré-tout, un bureau des objets trouvés, épaves, bois flottés
ramassés aux rivages de la vie quotidienne. Le guidon de bicyclette
y attend de devenir cornes de chèvre. Chez les plus mégalomanes :
désordre sublime et organisé. Chez Vidalens, l'ordre. Nulle odeur
d'essence ni de vernis, pas un tube de couleur, pas une brosse, pas
un chiffon. Une discrétion sans défaut et une aération fréquente
semblent avoir écarté toute allusion aux servitudes du travail. Une
cinquantaine de toiles sont rangées, de champ, refusées à la
curiosité. Je reviens sur cette absence, si sensible, des parfums de
la peinture. Si l'on ne tient pas compte des odeurs parasites
installées à demeure dans les églises — humidité, cire chaude,
encens — je trouve quelque chose de religieux, de recueilli,
d'intériorisé, à la qualité d'air qui se respire chez Vidalens. Dès
lors, bien sûr, les comparaisons affluent : exercices spirituels,
retraite, prière. Vidalens en moine enlumineur développant, des
décennies durant, une œuvre austère et douce, modeste et aiguë.
Ad Majorem Dei Gloriam : la formule - non : la dédicace
qu'inscrivirent tant de collégiens catholiques en tête de leurs
devoirs, donnerait sens à une ascèse qui, pour n'être pas
ostentatoire, n'en est pas moins explicite. Sans nous laisser
prendre au piège d'une évocation/comparaison évidente avec Giorgio
Morandi, comment ne pas l'esquisser ici ? Une longue génération
avant Vidalens, Morandi
(1890-1964), échappé à l'aventure futuriste, s'arrachant au
compagnonnage des "peintres métaphysiciens", se retire et
s'enferme peu à peu dans la répétition toujours plus épurée de
natures mortes auxquelles il se limitera désormais. La gamme des
objets peints se restreint jusqu'à ne plus compter que cruches,
pots, flacons, verres, quelques fleurs. Aux fleurs près, c'est la
même évolution que vivra Vidalens, sorti, lui, de la réflexion et de
la rêverie mathématiques.
Le peintre fait remarquer que certains de ses camaïeux tirent vers
le froid, d'autres vers le chaud. Nuances, bien sûr, mais qui font
rêver à un Nord et à un Sud de cet "arrière-pays" où se développe
l'art de Vidalens, à un crépuscule du soir et à un crépuscule du
matin (doigts rosés de l'aurore, etc.), ou encore à ces lumières
mystérieuses : nuits blanches de
la Baltique, précisions estompées d'un clair de lune. Clair de lune
? Je préférerais le nommer, comme fit Romain Gary, "clair de
terre", tant il est vrai que septentrionale ou méridionale, froide
ou chaude, la palette de Vidalens contient uniquement des "couleurs
de terre". On devine les connotations : sable, ocre, terre de
Sienne, et par une proximité toute naturelle des couleurs de bois,
des verts venus de la nature : rien, oui, que de naturel.
Rappelez-vous le premier titre de Jean-Jacques Schuhl : Rosé
poussière. Les couleurs de
terre de Vidalens évoquent pour moi ce sacrilège et déroutant
rapprochement de mots. Et là, arrêtons-nous au bord de
l'inexprimable : comment des couleurs couleur de poussière, au lieu
d'une dessication abstraite et minérale, produisent-elles cette
opalescence, comme d'une lumière vue à travers l'albâtre qui, avant
l'invention du vitrail, obturait les prises de jour d'une chapelle
romane ? Renonçons à l'artifice réducteur des mots et savourons le
mystère de cette absence où nous plonge toute visite à Vidalens. Une
visite, un voyage, un
dépaysement immobile.
François nourissier
de l'académie Concourt
Propos sur l'œuvre
A mesure que je prenais connaissance de votre
travail, une évidence s'imposait à moi : l'impossibilité de rien
dire ni écrire sur ce que vous faites. Que faites-vous en effet ?
Vous construisez un monde dont la principale fonction est de faire
régner le silence.
En vérité vos œuvres rayonnent de vertu apaisante. Ces objets
modestes si dignement traités caressent l'œil et le cœur. Ils nous
rassurent et nous font aimer notre environnement quotidien dans
toute son humilité. Mais en même temps chacun semble répéter à
sa manière ce proverbe
berbère : « Si ce que tu as à dire n'est pas plus beau que le
silence, alors tais-toi ! ».
Silencieusement vôtre.
Michel Tournier
Ce qui frappe d'abord, c'est le silence. Un long silence : de ceux
qu'on entend. Et puis, c'est l'immobilité sage, mathématique,
solennelle des
objets. Vient enfin la couleur : des teintes douces, claires, comme
un blanc qui se chercherait entre beige et ocre. Voilà.
C'est le
"parti-pris des choses", version Vidalens, peintre de l'observation
sûre, poète d'un monde surpris dans son antique sagesse,
peut-être philosophe dont l'œuvre, mystère, respire la modestie et
la suprême ironie...
Jérôme Garcin
Le dessin est d'une précision confondante, le peintre sait
admirablement utiliser la perspective, et toutes les perspectives
possibles
jusqu'à, parfois, les neutraliser. Parmi les artistes, à l'intérieur
d'une même discipline, on peut toujours distinguer les poètes, les
musiciens et les architectes. L'œuvre de Vidalens offre
véritablement une synthèse, une fusion très harmonieuse de ces trois
forces.
Sa poésie tient à
certain degré d'insolite, à un climat au bord de l'étrange, le
musicien joue sur des ordres de silences, denses de
grondements et de soupirs,
mais c'est incontestablement un architecte qui règne sur ces toiles
au pouvoir persuasif.
Roger
Bouillot
Objets fort courants, impeccablement alignés,
mais derrière lesquels il faut évidemment chercher autre chose : il
serait en effet
dommage de savoir aussi bien dessiner si l'on
n'avait rien de spécial à dire : or, ce que dit Vidalens rejoint les
sphères de l'ineffable. '
Seule une facture exemplaire de clarté et un
sens presque agaçant de la géométrie, joints à une insolente
limpidité chromatique,
pouvaient aboutir à ce trouble fait de vérité
crue, mais dont la froideur même incite à la méditation.
Denis Roger
Vidalens isole une fraction du temps et de l'espace. Il nous offre
la vision picturale d'un moment privilégié.
André Parinaud
L'objet est devenu support de concentration et le volume déploie la
lancinante magie — presque mathématique — de l'âme cachée
des choses.
Rêva
Remy
Ses assemblages ne sont pas seulement des situations plastiques
baignant dans une lumière intemporelle, ils racontent une histoire
ou une relation
surobjectivée. Vidalens existe bel et bien avec une autorité
singulière, et chacun de ses échafaudages ludiques occupe
le souvenir.
Jean-Marc Campagne
Vidalens : des natures mortes où l'artiste exprime sa
quête d'une nouvelle dimension spirituelle. A travers des objets
familiers,
isolés du banal et du quotidien, épurés au maximum, il nous offre sa
vision du temps et de l'espace. Dans cet univers mystérieux,
comme désincarné,
transparaît l'âme cachée des choses.
Anette Bedel
Le peintre Vidalens a le culte de l'objet, sans autre référence que
la sienne propre : et bien que ses objets soient fidèlement
représentés,
sa démarche est de leur donner une dimension imaginaire, à l'aide de
toute une gamme de tons mordorés sur lesquels se faufile
une lumière
irréelle.
Monique Dittiere
Les rapports de formes et de couleurs, leurs harmonies
presque mathématiques, naissent d'une grande sensibilité
contemplative et
d'une maestria technique.
Henri Adam
La stricte simplicité monacale donne un accent inaccoutumé à ces
compositions claires...
Lucette Schouler
Vidalens expose un remarquable ensemble de peintures sur
les thèmes qui lui sont familiers et qui lui permettent ces subtiles
variations sur le blanc. Linge plié, livre, bilboquet, œuf, assiette
et plat sont des épures qui ne gardent que l'essence abstraite des
volumes dans un silence quasi mystique.
Lydia Harambourg
Tout
est harmonie et raffinement dans l'art de Vidalens. L'on pénètre
doucement dans cet univers apaisant à la figuration
épurée au plus juste, où les
objets s'architecturent dans un merveilleux équilibre de la
composition. La sensibilité de l'artiste se
devine à fleur de toile. La matière presque impalpable est présente,
traitée en aplats très fins tandis que la gamme colorée, si
restreinte, se développe en
infinies modulations. Une œuvre authentique et rare.
Nicole Lamothe
Frédéric VIDALENS, né le 31 janvier 1925 à
Brive
1944
- 1949 Ecole Nationale Supérieure des Beaux-Arts de Paris, Atelier
Jean Dupas.
1947
- Voyage en Italie.
1948 - Voyage en Espagne.
Expositions particulières
1970 - Galerie Cardo, Paris.
1971 - Galerie Cardo, Paris.
1976 - Galerie Coard, Paris.
1977 - Galerie Vanuxem, Misère de Chavagnié.
1983 - Galerie Vanuxem, Paris.
1983 - F.I.A.C. Grand Palais, Paris.
1986 - Galerie Vanuxem, Paris.
1992 - Galerie Hénot, Enghien-les-Bains.
1995 - Galerie 26, Paris.
1996 - Galerie Mongautier, Poitiers.
2000 - Fondation Taylor, Paris.
2001 - Galerie Visconti, Paris.
Expositions de groupe
Nombreuses à Paris, en France et à l'Etranger,
dont :
1973 et 1974 - Uppsala, Stockholm et principales
villes de Suède par Galerie Medborgarskolan.
1979
- Paris, "Claude Nicolas Ledoux et Paris",
Rotonde de la Villette. 1979 - 1982 - 1983 - Japon, principales villes,
par
Galerie Art Yomiuri et Nippon Télévision Network
Corporation.
1982
- Paris, Biennale du 13e, Chapelle de la Salpêtrière. 1985 -
Japon, Tokyo, sélection du Salon d'Automne.
1985 - Courbevoie, Musée Roybet-Fould,
"Quinze peintres inspirés par la poupée".
1989 - B.I.A.F. La Forga, Barcelone.
1990 - Réfectoire des Jacobins, Toulouse.
1992
- "Le Printemps", Galerie Hénot, Enghien-les-Bains.
1994 - "Venise", Galerie Hénot, Enghien-les-Bains.
1995 - S.I.A.C., Strasbourg.
1998 - "Papiers confrontés", Galerie Vanuxem, Paris.
1999
- "25 ans de Collection", S.A.C.E.M.
Salons
Salon d'Automne, (sociétaire).
Salon Comparaisons.
Salon du Dessin et de la Peinture à l'Eau.
Société Nationale des Beaux-Arts (sociétaire).
Prix Farman, Prix Marthe Oran, Prix de la Presse Etrangère.
Salon E.N.S.I.C.A., Toulouse.
Orangerie de Versailles.
Travaux et Musées
1949 - Panneau décoratif pour l'école de garçons de Créteil.
1968 - 1970 - 1978 - 1979 - Œuvres acquises par l'Etat pour le
Fonds National d'Art Contemporain.
1970 - Œuvre acquise par la Ville de Paris.
1981 - Œuvre acquise par la Ville de Paris
pour le Musée Carnavalet. Bibliothèque Nationale
(lithographies et gravures à la manière noire).
Collections particulières
Paris, France, Belgique, Allemagne, Suisse,
Grande-Bretagne, Italie, Espagne, Suède, Etats-Unis, Canada,
Venezuela, Japon.
Banque Paribas (3 œuvres), S.A.C.E.M.
Bibliographie
Le Tabor et le Sinaï (essais sur l'art contemporain).
Michel Tournier, "Ed. Belfond", 1988.
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